La fonction publique prise au piège d’un contrat de loyauté ?

Par le Collectif Conscience Santé Liberté

Collectif de psychologues, psychanalystes et professionnels de santé

Marianne1

Rappel

Obligation de réserve 

Le principe de neutralité du service public interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l’instrument d’une propagande quelconque. La portée de cette obligation est appréciée au cas par cas par l’autorité hiérarchique sous contrôle du juge administratif. L’obligation de réserve est une construction jurisprudentielle complexe qui varie d’intensité en fonction de critères divers (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s’est exprimé, modalités et formes de cette expression). Tout agent public doit faire preuve de réserve et de mesure dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles. Cette obligation ne concerne pas le contenu des opinions (la liberté d’opinion est reconnue aux agents publics), mais leur mode d’expression.

Référence : https://www.fonction-publique.gouv.fr/droits-et-obligations

Dans l’Autonome de Solidarité Laïque, on peut lire :

« L’article 1er du statut de la fonction publique rappelle les valeurs auxquelles sont tenus impérativement les fonctionnaires de l’Education nationale notamment ; neutralité, laïcité, probité, dignité, impartialité. Il est également posé le principe selon lequel tout agent constitue le premier gardien des principes déontologiques inhérent à l’exercice d’une fonction publique. Dans l’absolu votre comportement ne saurait s’écarter de ces principes. A défaut, votre administration pourrait décider de souhaiter vous entendre… Le fait d’avoir partagé des articles sur les réseaux sociaux suppose que vous en partagiez le contenu et vous pouvez en quelque sorte devenir coauteur… Il vous reviendra en conséquence d’être extrêmement vigilant sur les critiques qui sont émises à l’égard de l’Education nationale ».

Référence : Autonome de Solidarité Laïque, Monsieur Francis Lec, Bâtonnier et Avocat conseil de l’ASL

Devoir de réserve ou conflit de loyauté ?

Le concept de loyauté a été défini par Boszormeny-Nagy comme inhérent à toute relation induisant « mérites et dettes ». Le contexte de loyauté peut être issu d’un lien de parenté ou d’une relation nourrie d’attentes.

Généralement, en psychologie clinique, on évoque le conflit de loyauté concernant des enfants à l’égard du/des parents surtout dans des situations de séparation ou de placement.

Il est intéressant aujourd’hui de faire le parallèle avec la population active liée à l’Etat (soit ¼ des français) et d’élargir ce concept à tous les professionnels de la fonction publique qui semblent piégés dans ce contrat de loyauté souligné par l’obligation de réserve.

Le contrat de loyauté repose sur un contrat narcissique, ici aux bénéfices de l’Etat (chers salariés, vous êtes reconnus comme un « bon » élément et aurez quelques avantages, à condition que vous ne remettiez pas en cause notre institution, sous peine de..). À l’image d’un pacte pervers laissant planer l’ignoble chantage d’une insécurité mortifère certaine, en acceptant le contrat d’un « emploi à vie », les fonctionnaires renoncent aux règles du droit du travail classique: pas de contrat de travail, donc pas de protection, pas d’accès aux prud’hommes, pas de chômage.

Rappelons que le contrat de loyauté repose également sur 3 autres piliers chargés de limiter la parole, l’expression :

  • le secret, autrement dit s’assurer du silence de la personne en dehors du système (ici système hospitalier, éducation nationale, défense, justice) concernant des défaillances, des manquements, de la maltraitance de ces institutions.
  • une complicité tacite aliénante où le sujet prend la « défense de », soutient, intériorise une sorte de pacte/alliance envers et contre tout et en prime intériorise la culpabilité de la défaillance du système.
  • la menace de désaveu en cas de désolidarisation, le tout entretenu par le clivage entre le bon et le mauvais objet.

Autrement dit, cette « obligation de réserve » des soignants, enseignants, policiers, juristes, élus locaux, préfets, ministres, etc fonctionnerait comme une sorte de contrat de loyauté venant museler la parole, limiter la pensée, interdire le positionnement et l’agir. Face à ce contrat qui devient conflit de loyauté et donc conflit psychique, les personnes peuvent être confrontées à :

  • des exigences internes violentes et contradictoires entre loyauté envers l’institution ou intégrité envers elles-mêmes.
  • leur aptitude à supporter l’épreuve de séparation, se séparer du corps de métier, du groupe d’appartenance auquel il y a eu identification ou se séparer de Soi.
  • Un risque d’effondrement psychique, une souffrance narcissique avec une dévalorisation de soi importante.

Les personnes vont devoir faire un choix : soit de privilégier leur intégrité morale au détriment de leurs avantages matériels ou sécurité financière soit renoncer à leur éthique, leurs valeurs, leur souveraineté.

Quand le choix paraît impossible, des mécanismes de défense se mettent en place et la personne peut opter pour le déni de la réalité renonçant à ses valeurs priorisant ses intérêts dont rester dans le groupe. Il devient alors prisonnier de ce contrat de loyauté, d’un confort sécuritaire apparent, et de l’appartenance/identification au groupe.

Le conflit de loyauté fige la pensée, empêche d’élaborer et d’analyser la situation, ainsi le dilemme semble alors insoluble, l’issue n’apparaît qu’insatisfaisante.

Alors comment sortir de ce qui peut sembler être une impasse ?
La réponse pourrait tout d’abord se trouver du côté de la loi elle-même puisque taire de la maltraitance professionnelle, quelle qu’elle soit, constitue également sur le plan juridique un délit de non assistance à personne en danger ou de complicité de maltraitance et qu’il existe, pour chaque citoyen que nous sommes, le devoir de se positionner, d’agir voire de désobéir quand l’ordre ou les protocoles sont iniques « qui manque à l’équité, qui est contraire à la justice » (déf. Larousse).

Ce devoir de fond, nous invite à témoigner, ou procéder à un signalement d’une situation à risque pour les personnes. L’autre réponse pourrait être davantage de l’ordre de la valeur morale et de la dignité humaine. Etre témoin et oser signaler une maltraitance pour porter assistance à autrui, fait partie de notre intégrité, notre souveraineté, seuls garants sécuritaires psychiques qui tiennent en réalité. Par ailleurs, les principaux corps de métiers de la fonction publique participent au socle des bases de la construction de l’humain à savoir : le soin, la santé, l’éducation et la sécurité morale et physique. De ces champs, devrait découler l’exigence de devoir se réajuster en permanence aux besoins de l’homme. N’est-ce pas l’inverse que nous observons aujourd’hui ?

Ces corps de métiers où l’intérêt humain est au coeur du sujet ne cessent de se déshumaniser, devant composer avec des moyens de plus en plus restreints et des débats vains.

Comme des non-dits à contenir pour le bien être des autorités, l’obligation de réserve semble agir tel un élément toxique en représentant un réel frein à l’expression, à la réflexion, au bon fonctionnement et à l’évolution de ces secteurs pourtant essentiels à tous d’où l’urgence et la nécessité absolue de reprendre la parole et sa dignité !

Collectif Conscience Santé Liberté

Collectif de psychologues, psychanalystes et professionnels de santé

Laurence LEROY, psychologue clinicienne et art-thérapeute
Virginia LECLERCQ, psychanalyste intégrative
Yoanna MICOUD, psychologue et psychotraumatologue
Gwenaëlle PERSIAUX, psychologue clinicienne
Marie Laurence HERCENBERG, psychologue clinicienne
Consuelo PALACIOS, psychologue clinicienne
Karine AMISTANI, psychologue clinicienne et psychothérapeute
Catherine BARJON , infirmière